Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


mardi 30 octobre 2007

Enfants de la guerre ou guerre des enfants?




Évidemment, un imbroglio juridique et légal entoure cette affaire d'enfants du Tchad ou du Darfour. Pour autant, Idriss Déby, sinistre président du Tchad, installé en 1990 grâce aux autorités françaises qui ont de nouveau volé à son secours en 2006, peut-il, avant toute enquête, tout procès, déclarer devant une forêt de micros, mot pour mot et en français — qu'on ne prétexte aucune mauvaise traduction: "Est-ce que c'est pour [les] vendre aux ONG pédophiles? C'est ce qui est à mon avis évident. Ou bien peut-être les tuer et enlever les organes et les vendre aussi possible [sic, ou entendre: "... les vendre aussi? Possible"]?". Les trois cents personnes qui attendaient l'arrivée de ces enfants à l'aéroport seraient donc complices de tels réseaux? La suite répondra sans doute à ces questions, mais pour l'heure, rien de tout cela n'est "évident", sauf pour cet homme. Un homme qui trouve évident d'engager des enfants de huit ans dans sa guerre; évident de mener une répression aux dizaines de milliers de victimes; évident de changer la Constitution à sa guise; évident encore de soustraire son trafiquant de fils à la juridiction française, assassiné depuis sous un faux nom à Courbevoie, et qui, aux dires de son propre avocat, servait d'intermédiaire aux milieux d'affaires français intéressés par les cimenteries et le pétrole tchadiens, avant que son corps fût rapatrié dans l'avion personnel du Libyen Khadafi, de longue date aussi son évident soutien. Rama Yade, notre secrétaire d'État aux Affaires Étrangères et aux Droits de l'Homme, est pleine de "compréhension pour la colère du président tchadien", et ose des mots d'esprit pour le moins déplacés sur "la France étant bonne mère..." Nos ministres et notre Président en personne trouvent urgent de condamner les responsables de l'opération, si écervelés ou même si douteux soient-ils, d'une façon tout aussi prématurée que cet homologue tchadien, quand tout indique que les autorités tchadiennes et françaises étaient informées depuis longtemps de ces projets, très clairement explicités sur le site de L'Arche de Zoé [Ne répond plus, octobre 2009]. Ce qui, soit dit en passant, nous contraindra tôt ou tard à réfléchir aussi sur ces difficiles questions de la désobéissance civile et du droit d'ingérence, ou du moins de leur récurrente invocation. Mais pour l'heure, ne sommes-nous pas à l'aube d'une nouvelle affaire inspirée par celle des infirmières bulgares et du médecin palestinien: où se succéderont manifestations de mères dans les rues contre les criminels, chauffe à blanc des opinions locales, procès iniques, tortures et aveux, emprisonnements indéfinis, des années peut-être, en attendant que le contexte soit favorable à l'extorsion de rançons, toutes ignominies si ouvertement et cyniquement orchestrées par les Khadafi, alliés personnels et politiques des Déby et dont le pater familias est le prochain invité de notre Président, dans les gouffres d'un contexte politique, économique, mafieux et militaire, impliquant le Tchad et la France?

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