Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


vendredi 15 février 2008

Enfants de l'extermination



Il est simplement contraire à la démocratie la plus élémentaire de vouloir plier des consciences personnelles et d'organiser les mémoires de l'enfance par une injonction collective, en surprenant des convives au cours d'un banquet corporatiste. C'est pourtant ce que vient de faire le Président de la République en dévoilant sa décision de jumeler chaque enfant de CM2 (neuf à onze ans environ) avec un enfant juif exterminé, un double de soi-assassiné en quelque sorte, et qu'il n'aura aucun moyen, autre que magique, de faire revivre, dans un tête-à-tête solitaire dans lequel les nécessités et les contingences de la vie quotidienne ne tarderont guère à l'abandonner. Tout ceci sans débat longuement et discrètement mûri avec les élus, avec les acteurs concrets de ce geste pédagogique, civique, historique et politique, mais par un brusque et inopiné décret d'après-boire.
Nous pourrions dans un second temps envisager, avec l'analyse psychologique, la validité d'une telle irruption de cette mort et du meurtre insoutenable dans les imaginaires d'une classe d'enfants réels et concrets, avec leurs recours spécifique au langage, au symbolique, à la mémoire justement privés, ou à peu près, de cette réflexive mise à distance, y compris par l'ironie, ce que sait si bien faire l'humour juif justement, acte adulte par excellence. Autre chose serait évidemment d'enrichir et d'encourager tout ce qui, dans nos écoles, confronte déjà nos élèves à une expérience collective et dialoguée entre générations, pour reconstituer ou évoquer, ensemble ou divisés, des vies individuelles, des histoires de sujets, des sujets et des enfants dans l'Histoire, et d'ailleurs aussi dans la géographie, en liaison avec leurs avenirs européens.
Mais, au lieu de s'en tenir à ces deux dimensions — une au fond, car tout démontrerait, mais c'est un autre sujet, que la psychologie de l'enfant est indissociable de la démocratie —, dans cette désertion quotidienne de la démocratie que nous vivons sur tous les fronts, le débat, aussi spectaculaire, que vont ouvrir les prescripteurs d'opinions de tous ordres et de tous bords, va exploiter des émotions collectives plus infantiles encore, et nous précipiter droit dans un piège: nous allons entendre deux autres arguments irrecevables, et dont nous ferions bien, en des occasions moins perverses, d'affronter les pernicieuses racines, que nous résumerons ainsi, pour l'instant:
— "Encore? mais ils nous fatiguent avec leur Shoah!"
— "On ne va pas ouvrir une telle boîte de Pandore en agressant ainsi nos jeunes musulmans dans les écoles! Colère compréhensible, après tout!"
Et c'est sans doute la pire des conséquences de ce geste antidémocratique et totalitaire que de donner à toutes ces lâchetés, peurs et amnésies, l'occasion, belles âmes, de se draper dans les vertus politiques, pédagogiques, et psychologiques, en guise de justification a posteriori.

19 février 2008. En quatre jours, l'injonction présidentielle est devenue "intuition", et appréciation soumise à commission, tant mieux. Faut-il pour autant supprimer cette note? Non, car tirer avant de réfléchir demeure problématique pour quelqu'un appelé à de telles fonctions. Que n'a-t-il au moins consulté son amie et soutien politique Simone Veil avant de parler, elle qui, comme tant d'autres, connaît cet homme depuis toujours pour l'avoir côtoyé au quotidien, et qui déclare, légèrement après coup d'ailleurs: "À la seconde, mon sang s'est glacé". Comme tant d'autres qui savaient d'expérience et savent encore, et que d'exquises connivences auront retenu de clairement mettre en garde leurs concitoyens en temps utile, de les dissuader fermement, au-delà des appartenances partisanes, de porter leur familier ami ou intime adversaire à une responsabilité qui demande d'abord un peu de sang-froid, justement. Inadéquation qui n'échappe guère à nombre d'entre nous, qui le fréquentons pourtant nettement moins.

20 juin 2008.
Le Monde de ce jour annonce la parution prochaine d'une circulaire abandonnant le projet de parrainage, après le rapport (8 pages téléchargeables ici) d'une commission présidée par Hélène Waysbord-Loing (présidente de l'Association de la maison d'Yzieu) et composée de quinze membres, dont Serge Klarsfeld,
Claude Lanzmann et Simone Weil:
"La thématique des enfants victimes constitue l'approche privilégiée pour enseigner l'histoire de la Shoah en classe de cours élémentaire: partir d'un nom, d'un visage, d'un itinéraire, de l'exemple singulier d'une famille dont l'histoire est liée aux lieux proches — l'école, la commune, le département — constitue une approche pédagogique respectueuse de la sensibilité des enfants", indique le projet de circulaire.