Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


vendredi 19 juin 2009

Notre Iran




C'est ce sur quoi il faut insister sans trêve: une dictature avérée; un personnel politique désavoué, corrompu, aveugle, sourd et prêt à toutes les violences pour continuer à imposer sa terreur; des médias muselés et des journalistes battus ou emprisonnés; des leaders historiques d'opposition soudain évanouis; une fraude électorale immense et trop peu dénoncée par la presse des pays démocratiques; des soutiens bruyants et des plus douteux de la Chine, de la Russie, du Vénézuela de Chavez, et du Hamas évidemment, pour l'usurpateur du pouvoir et ci-devant Président; un peuple entier ou du moins sa part la plus vive, qui, dehors et dedans, fait enfin entendre sa voix malgré la répression criminelle.
Devant les événements d'Iran, leur importance et leurs enjeux, le texte qui, jusqu'ici, nous concerne au plus près, nous est adressé par madame Chahdortt Djavann, via Le Monde du 18 juin 2009.

— La diaspora doit s'unir contre le régime de Téhéran. Ce qui se passe en Iran est historique et aucun pays occidental ne l'escomptait. Les dirigeants occidentaux ne pouvaient imaginer que la jeunesse iranienne soit capable de manifester contre l'appareil étatique, dans un pays où les manifestations non gouvernementales sont interdites et violemment réprimées. La jeunesse iranienne n'a joué aucun rôle dans l'avènement du régime théocratique en Iran; cette jeunesse, qui est née sous ce régime, le néfaste héritage des erreurs de leurs aînés, fait entendre aujourd'hui sa voix, elle dit fort et haut qu'elle veut le changement, qu'elle veut la liberté. La jeunesse iranienne dit qu'elle ne croit pas au fatalisme et qu'elle mérite beaucoup mieux que ce régime. Il est du devoir de la diaspora iranienne, où qu'elle soit, de soutenir sans faille le peuple iranien. Aux États-Unis, il y a une très importante communauté iranienne, plus de trois millions de personnes; cette communauté prospère doit peser de tout son poids et exiger de l'administration Obama qu'elle ne cède pas à la Realpolitik. Il est temps que l'Amérique se mette du côté du peuple iranien et non du côté du régime criminel. Il ne faut pas laisser passer cette immense occasion. Je m'adresse aux dirigeants occidentaux: n'oubliez pas que ce régime, qui opprime le peuple, soutient le terrorisme dans le monde entier, jette le trouble au Liban, en Palestine, en Irak, au Soudan..., n'oubliez pas que ce régime tente depuis trente ans de répandre son idéologie totalitaire à travers le monde, n'oubliez pas que ce régime veut se doter de l'arme nucléaire. N'abandonnez pas le peuple iranien, comme vous l'avez fait avec les insurgés en Irak à l'époque de Saddam Hussein. Ayez le courage et surtout l'ambition de sauver un pays, un peuple qui vous serait reconnaissant, qui partagerait vos valeurs, qui serait à jamais un grand allié.
Nul n'ignore l'importance de l'Iran dans la région. Faisons le pari du peuple, soutenons la jeunesse iranienne, pro-occidentale et désireuse de liberté. Il est temps d'agir, c'est «l'heure du choix»; demain, il sera peut-être trop tard; ce régime criminel a plus d'un tour dans son sac, mais il suffit d'avoir un coup d'avance pour gagner la bataille. La diaspora iranienne ne doit pas manquer à sa responsabilité, elle a non seulement la pleine légitimité mais aussi le devoir de soutenir les démocrates en Iran. Les mouvements d'opposition doivent mettre de côté leurs divergences et se rassembler autour d'un symbole pour venir à bout de ce régime, pour libérer les Iraniens, pour libérer l'Iran. C'est le moment du grand rassemblement. Il est impératif que la diaspora iranienne en Europe, aux États-Unis, au Canada, exige un référendum en Iran pour choisir la nature du régime: théocratique ou démocratique? Nous avons le devoir de nous rassembler; le peuple iranien, l'Iran a besoin de nous.

Au-delà de nuances tout à fait secondaires d'appréciation, nous sommes tous des exilés iraniens, l'Iran aussi des «jolies filles du nord de Téhéran» (ainsi les idéologues dénomment-ils parfois ces courageuses filles, sous le prétexte qu'elles sont des beaux quartiers), de Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix 2003, des cinéastes Abbas Kiarostami (1) ou ceux de la famille Makhalbaf. Et puisque Chahdortt Djavann évoque les États-Unis d'Amérique, notons tout d'abord que, malgré la surenchère des Républicains qui ont, en leur temps, démontré leur myopie diplomatique, le président Barack Obama n'a pas tardé à apporter son appui sans aucune équivoque. Mais remarquons aussi et surtout que la concomitance historique de son discours au Caire du 4 juin dernier, (texte intégral en français) et des élections iraniennes (et libanaises) n'est pas fortuite. En même temps qu'il accompagne et confirme une révolution dans les rapports des USA avec l'Iran, son moment, le lieu où il a été prononcé et son contenu exact ne peuvent être étrangers à la possibilité d'exister ainsi et maintenant et à la force de ce vaste mouvement populaire que nous aurions tort de réduire à un conflit de générations ou à un éphémère mouvement estudiantin. Il sera sans doute réprimé durement mais, dans ce nouveau contexte international, il aura irréversiblement ouvert le compte à rebours.
Enfin, bien que son objet soit l'ensemble des relations des USA avec le monde arabe et musulman, ce Discours du Caire est aussi une porte enfin ouverte dans le conflit du Proche-Orient, que les deux camps, chacun avec leurs prétextes et leurs langues de bois, ont le tort criminel de ne pas saisir au plus vite et au mieux. Ce que souligne l'écrivain David Grossman dans un article du 17 juin dernier publié sur le journal israélien Ha'aretz, et dont nous avions déjà ici recueilli un article le 22 janvier 2009.
Mais sur l'Iran comme sur le Proche-Orient, les événements nous contraindront à revenir plus longuement bien assez tôt.

1. Voir aussi notre note sur son film Shirin, dans notre dossier cinéma Les trains de Lumière.
© Photographie: Knight Ridder, de Peter Andrew Bosch, Téhéran. Young women sit at a outdoor cafe in the mountains north of Tehran. The youth has become more daring, many girls wear makeup, and expose more and more hennaed hair with the chadors back on their heads. The girls risk jail, fines and official beatings. — Jeunes femmes assises à la terrasse d'un café dans les montagnes au nord de Téhéran. La jeunesse est devenue plus audacieuse, de nombreuses filles se maquillent et montrent toujours davantage leurs cheveux passés au henné, en portant leurs tchador en arrière. Les filles risquent la prison, des amendes et des peines de flagellation.