Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


jeudi 25 février 2010

Le verrouillage du Conseil Constitutionnel




Trois personnalités rejoindront le Conseil Constitutionnel le 12 mars prochain: l'ancien ministre démocrate-chrétien Jacques Barrot, le sénateur UMP Hubert Haenel, l'ex-socialiste et sénateur Michel Charasse. Trois hommes: ainsi, parmi les neuf Sages (onze avec les deux anciens présidents de la République membres de droit et à vie), il ne reste aujourd'hui qu'une femme, la diplomate Jacqueline de Guillenchmidt, après la fin en 2007 du mandat de madame Simone Weil et de celui, en 2010, de la sociologue et universitaire Dominique Schnapper. Mais ces trois hommes sont également tous issus du personnel purement politique, alors qu'avec le départ en 2007 de Jean-Claude Colliard et celui, en 2010, d'Olivier Duteillhet de Lamothe s'en sont allés les deux derniers universitaires et professeurs de droit.

Outre nos deux présidents, la diplomate déjà citée, et les trois hommes politiques nouvellement nommés, les cinq autres Sages sont: les politiques Pierre Steinmetz et Jean-Louis Debré, les hauts fonctionnaires Renaud Denoix de Saint Marc et Jean-Louis Pezant, le magistrat Guy Canivet.

Que sont les grands professeurs de droit devenus, certainement parmi les plus avisés pour siéger sur les questions dont est saisi ce Conseil? Qui peut oublier le rôle déterminant joué par des hommes comme Maître Robert Badinter ou le Doyen Georges Vedel "refondateur du droit public", ainsi que l'ont qualifié ses pairs? Cette absence manifestement délibérée et préméditée fait de la France une exception absolue: un tiers des membres de la Supreme Court of the United States, la présidente du Tribunal Constitucional espagnol et plusieurs de ses membres, la moitié des membres de la Corte Costituzionale italienne, la quasi-totalité (treize sur seize, dont son président) au BverfG (1) de Karlsruhe sont des universitaires, et la plupart spécialistes de droit, constitutionnel évidemment.

En guise d'ouverture à la française, trou de souris où, entre autres, se jette avidement un tribun vulgaire et coléreux devenu Sage, s'instituant selon ses propres mots «gardien du temple mitterrandien» (2), il s'agit en fait d'une confiscation pure et simple de cette instance par les hommes politiques, appartenant quasiment tous à la majorité présidentielle.

Plus d'un tour dans cette mise en sac de nos libertés publiques et civiles:
la jubilation des nouveaux arrivants dans ce petit cercle soumis désormais sans retenue aux intérêts politiques immédiats plutôt qu'à une attention sage aux principes constitutionnels, éclate dans cette déclaration de Jacques Barrot, parlant explicitement en son nom et en celui de ses deux collègues, rapportée dans Le Monde de ce même 25 février: «Ce sont des politiques qui entrent dans un Conseil qui comptait, au fil des nominations, surtout des juristes. Nous sommes trois législateurs qui connaissons la musique du Parlement. Le Conseil doit protéger les droits fondamentaux mais aussi réguler la vie politique. Les juristes considèrent un peu que le droit est une fin en soi, tandis que les législateurs sont mieux à même de le ramener à sa dimension de moyen». Moyen pour quelles fins, au juste?


1. Abréviation conventionnelle de Bundesverfassungsgericht, tribunal constitutionnel fédéral allemand.
2. Vice-président de l'Institut François-Mitterrand, Michel Charasse a publié sur l'ancien président une hagiographie, laïque évidemment: Pensées, répliques et anecdotes de François Mitterrand (Le Cherche-Midi, 1997, réédition toujours aussi idolâtre, bien qu'augmentée en décembre 2005 pour le dixième anniversaire de sa mort). «Je pense très souvent à lui, je rêve qu'il me parle».

Photographie © Lot: Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, d'Alfred de Musset, dans une mise en scène d'Isabelle Andréani, avec Isabelle Andréani et Xavier Lemaire, à l'Essaïon Théâtre en 2009.