Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


dimanche 3 juillet 2011

Israël / Palestine: parler droit



Shlomo Avineri, directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères dans le premier cabinet de Yitz’hak Rabin, est professeur de Sciences politiques à l’université hébraïque de Jérusalem. À ces divers titres, mais aussi simplement parce qu'il sait que, selon la formule de Camus et maxime de
Ralentir travaux: «Mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde», il s'attarde sur un terme qui fait florès dans les médias et les commentaires, et qui n'est pas fait pour éclairer les difficultés, changements et espoirs aussi (puisqu'ici nous en rêvions presque en octobre 2009) qui nous attendent bientôt. Le texte a été publié dans le quotidien israélien Haaretz du 29 juin 2011, et traduit ici par Yoel Amar pour La Paix maintenant. Les notes sont de Ralentir travaux.

Personne ne met en question la légitimité d'Israël. — Un ministre du gouvernement Netanyahu, homme politique chevronné, ni membre du Likoud ni d’Israël Beïtenu [1], m’a fait part il y a quelque temps de son inquiétude concernant la possibilité d’une reconnaissance par l’Assemblée Générale des Nations Unies d’un État palestinien dans les frontières de 1967. Une telle décision, selon lui, reviendrait à délégitimer Israël.

Un usage si peu approprié du terme «délégitimation» est symptomatique du discours politique israélien, de la ligne de communication gouvernementale et du travail d’organisations juives de par le monde, dont certaines ont mis sur pied des commissions exécutives spécifiquement vouées à «la guerre contre la délégitimation». Malgré les meilleures des intentions, tout ceci ne fait que nuire à Israël.

Nul doute que l’appui de l’ONU à la formation d’un État palestinien sans négociations préalables poserait un sérieux problème. Mais une telle décision ne remettrait pas en cause la légitimité d’Israël. En fait, on pourrait même soutenir le contraire: reconnaître un État palestinien dans les frontières de 1967 revient à poser que leurs lignes constituent les frontières d’Israël. Celles-ci incluent Jérusalem-Ouest, qui se trouve ainsi de facto reconnue comme partie intégrante d’Israël — ce que même les meilleurs amis du pays se sont jusqu’ici refusé à faire. [2]

La vérité est qu’aucune dynamique significative destinée à délégitimer Israël n’est à l’œuvre où que ce soit sur terre [3]. On rencontre de petits groupes marginaux, surtout dans les cercles universitaires d’extrême gauche nourris pour une part de propagande arabe, qui mettent en doute le droit d’Israël à exister. Mais aucun pays entretenant des relations diplomatiques avec Israël ne s’est jamais élevé contre la légitimité de son existence, la meilleure preuve en étant l’appartenance d’Israël aux Nations Unies.

Le gouvernement israélien a fait de la délégitimation — question qui se situe aux marges bruyantes mais éphémères du discours politique international — un problème méritant d’entrer en ligne de compte. Il a ainsi conféré à une opinion marginale et sans importance un statut hors de proportion avec ses dimensions réelles.

Jusqu’à l’amiral Eliezer Marom, commandant en chef de la marine israélienne — un soldat intrépide mais pas précisément un expert en sciences politiques ou en droit public international —, qui a donné l’alarme quant aux objectifs, visant à délégitimer Israël, de la prochaine flottille à destination de la bande de Gaza. Voilà qui rappelle de bien près les (vaines) figures de rhétorique de la propagande soviétique, pour laquelle la moindre critique de l’URSS était un coup porté contre son droit même à l’existence. De telles allégations relèvent du phantasme: critiquer le blocus naval de Gaza ne revient pas à délégitimer Israël.

Les raisons qui poussent des personnalités politiques de droite à monter en épingle toute critique d’Israël et à en faire un cas de délégitimation sont claires. Pour la plupart, les critiques portent sur la poursuite de la colonisation, pierre angulaire du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, mais qui est très loin de faire l’unanimité dans l’ensemble du spectre politique israélien.

Dans la mesure où cette politique est difficile à défendre à l’étranger, en partie du fait qu’elle est contestée à l’intérieur, quoi de plus commode pour forger un consensus que la lutte contre la délégitimation d’Israël? Mais cette tentative est imbécile, cynique et périlleuse pour Israël. Car nous légitimons ainsi le discours même qui met en doute le droit à exister de l’État nation du peuple juif.

La joute à venir aux Nations Unies doit user d’honnêteté, la plupart des Israéliens étant prêts à admettre que seule la voie de la négociation peut aboutir à une solution à deux États. Point n’est besoin d’entraîner les citoyens d’Israël au royaume de la démagogie et du mensonge, ni de jouer l’intimidation.

Le contrôle par Israël du territoire palestinien et sa politique de colonisation sont sujets à critique. Mais c’est là-dessus que porte le débat, non sur la légitimité de l’État d’Israël. Nul ne remet sérieusement cette dernière en question.

1. «Israël notre maison», le parti de droite dirigé par Avigdor Lieberman, ministre des Affaires trangères et vice-Premier Ministre d'Israël.
2. Les États-Unis, auxquels Shlomo Avineri fait sans doute allusion au premier rang des «amis d’Israël», ont en effet maintenu leur ambassade à Tel-Aviv, alors que, traditionnellement, les ambassades sont installées dans les capitales. La France et les États-Unis ont tous deux à Jérusalem un double consulat général situé pour moitié dans la partie occidentale et pour moitié dans la partie orientale de la ville.
3. Notre auteur pêche toutefois par optimisme, dans son titre — que nous avons retraduit car la traduction n'était pas exacte —, ici et dans sa conclusion. Nous connaissons les déclarations réitérées de l'imposteur sanguinaire iranien, y compris à de trop dociles tribunes internationales, et celles du Hamas, qui, par les temps qui courent, serait bien inspiré de réécrire sa charte, dont nous rappelons ici l'ouverture: «Israël existe et continuera à exister jusqu'à ce que l'islam l'abroge comme il a abrogé ce qui l'a précédé». Ceci n'ôte évidemment rien à l'interpellation du professeur Shlomo Avineri.


© Maurice Darmon: Jérusalem, novembre 2009. Extrait de l'album collectif Les gens de là-bas.