Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


mercredi 1 février 2012

Allègre ou le triste sire




• Dans notre article du 18 mai 2010: La politique dans le boudoir, nous écrivions:

«En panne de philosophie de l'histoire, trouverons-nous meilleur recours dans l'esprit scientifique? À propos de sa dernière falsification: L'imposture climatique, Claude Allègre, l'ancien ministre socialiste de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie (1997-2000) et actuel candidat à n'importe quelle fonction, pourvu qu'elle soit proche du pouvoir de droite, vient de se faire prendre en flagrant délit de fraude scientifique, de trucages avoués par l'auteur après coup, de désinformation grossièrement intéressée. La conclusion de sa réponse à Sylvestre Huet, citée ici dans son intégralité, nous donne quelque idée du désastre culturel et intellectuel en cours sur la notion même de "politique": «Si vous vous contentez de corriger les virgules, les fautes d’impression, d’orthographe des noms propres ou de dessin, vous ne comprendrez rien au sens général du livre qui est un livre politique avant tout!»

• Le 22 février 2010, nous publiions L'heure du choix, un article de Hervé Kempf sur les impostures répétées de celui qui fut un temps ministre, au grand déshonneur de l'Éducation nationale. Nous l'avions intitulé One way. L'imposteur nous aura-t-il lu? Nous le pensions honteux et confus, tant les faits l'ont continûment accablé. Mais il reparaît, aux États-Unis cette fois, par un article sur le Wall Street Journal. Dans Le Monde du 1er février, Stéphane Foucart relate cette nouvelle rhapsodie d'éhontés mensonges.

Climat: Claude Allègre récidive outre-Atlantique. — Polémiquer est un talent qui peut s'exercer avec un égal succès des deux côtés de l'Atlantique. En témoigne la longue tribune signée par Claude Allègre dans le Wall Street Journal en compagnie de quinze autres «scientifiques inquiets», désireux de rassurer les lecteurs du quotidien économique: «Il n'y a pas besoin de paniquer à propos du changement climatique.»

Deux jours après sa publication, l'article faisait toujours, lundi 30 janvier, les gorges chaudes de la blogosphère américaine et des commentateurs de tous poils. Dans leur texte, les auteurs déroulent un classique argumentaire climato-sceptique affranchi de tous liens avec la réalité scientifique et disposant ainsi d'une grande liberté narrative.

Les seize conjurés — tous retraités et/ou étrangers aux sciences du climat, à une exception près — affirment, entre autres, qu'«il n'y a nul argument scientifique convaincant en faveur d'une action drastique pour décarboner l'économie mondiale». Reprenant une vieille antienne, ils précisent que «l'absence de réchauffement depuis plus d'une décennie (...) suggère que les modèles informatiques ont grandement exagéré ce que peut provoquer le CO2 additionnel».

Quant à l'unanimisme des climatologues sur le constat, les causes principalement humaines et la gravité potentielle du changement climatique, il serait maintenu par la peur qui règne dans la communauté scientifique, digne de celle jadis entretenue par Trofim Lyssenko, le biologiste officiel de l'Union soviétique. Les gouvernements? Ils soutiendraient ce complot scientifique, alléchés par la possibilité de créer de «nouvelles taxes»...

Pour faire sérieux, les seize signataires se piquent d'un peu d'économie et citent les travaux de William Nordhaus. Selon une vaste étude réalisée par ce dernier, professeur d'économie à la Yale University, la meilleure option est «une politique permettant encore cinquante ans de croissance non entravée par un contrôle des gaz à effet de serre», écrivent Claude Allègre et ses coauteurs.

Hélas! William Nordhaus a lu le Wall Street Journal. Et il a posté, lundi 30 janvier, sur le blog d'Andrew Revkin, professeur à la Pace University (États-Unis), une cinglante réplique. «Cet article déforme complètement mon travail. Mon travail montre depuis longtemps que ralentir le réchauffement aurait un bénéfice économique net», écrit-il. «(...) Je suis favorable à une taxe carbone depuis de nombreuses années comme le meilleur moyen d'attaquer le problème. Soit [ces seize signataires] sont complètement ignorants de l'économie sur cette question, soit ils ont volontairement déformé mes découvertes.»

Claude Allègre avait déjà été pris en flagrant délit — dans les colonnes du Monde [nous avons retrouvé une analyse équivalente par Sylvestre Huet dans Libération du 23 mars 2010] – de pratiquer ce genre d'enrôlements forcés. Dans son livre L'Imposture climatique (Plon, 2010), il citait notamment une douzaine de chercheurs comme partageant ses vues sur le climat. Alors que, renseignements pris, la plupart les combattaient âprement. Pour ceux, au moins, qui avaient pu être interrogés. Car certains de ces "enrôlés" n'existaient simplement pas... — Stéphane Foucart, Le Monde, 1er février 2012.

Gravure: Vilhelm Pedersen (1820-1859), illustrateur des Contes d'Andersen: Les Habits neufs de l'empereur.